Article paru dans le numéro de novembre de « EXISTENCE » (le journal de l’Apeis (Association pour l’emploi, l’information et la solidarité).
Le repos du fakir
-Typologie de mobiliers urbains parisiens
Le mobilier urbain est la partie visible d’un urbanisme hygiéniste qui modèle nos comportements dans les espaces dits publics. On ne peut plus se regrouper nulle part. On ne peut plus se reposer sur les bancs : ils glissent. Il en est de même des espaces collectifs des facultés construites après 68 : pas de rassemblement, pas de réunion ( fac de Tolbiac, paris 13ème).Cet urbanisme refoule les zonards, les sans abris, les jeunes vers des lieux moins contrôlés, hors du centre de Paris ville -monument obsédée par l’image figée, « propre » qu’elle veut donner d’elle même.
1) Piques à humains
Situés devant des devantures de banques ou de magasins de produits de luxe, ces piques en métal empêchent les passants de s’asseoir en attendant le bus: les corps obstruent la vision des marchandises exposées.
On connaissait les piques à pigeons pour protéger les monuments, voilà maintenant les piques à humains! Ceux qui osent encore s’y asseoir deviennent de véritables fakirs de l’espace public.
2) Sièges « assis – debout »
Créés par différentes agences de design pour le métro parisien, ces sièges pudiquement appelés « assis – debout » sont censés répondre aux attentes des nouveaux « nomades urbains », entendez les jeunes cadres dynamiques qui parcourent Paris avec leur ordinateurs portables. Ces sièges hauts, inconfortables pour les personnes trop petites, âgées, serviraient donc à « l’appui éphémère » dans les stations devenues des « lieux d’étape ». Derrière ce discours publicitaire se cache la réalité du cahier des charges de ces bancs : empêcher la position couchée des sans abris, appelés dans le jargon de la RATP les « indésirables ».
3) Sièges individuels
« On offre des sièges individuels, on reconnaît l’individu, la personne, le client » designers de la RATP
Derrière ces propos positifs se cachent des dispositifs sécuritaires: individualiser l’usager c’est aussi l’isoler des autres par des accoudoirs , par la forme en coque du siège, le séparer de son voisin en espaçant de plus en plus les sièges. Plus de réunions improvisées, plus de flirts sur les bancs publics : on s’assoit seul, et on circule.
4) décors obstructifs
Devant les entrées d’immeubles, regardez les anciennes jardinières : elles fleurissent de rochers artistiquement agencés, de galets, voire de faux cactus. Ces nouvelles décorations n’ont pas été placées là uniquement parce qu’elles sont faciles à entretenir : elles empêchent les regroupements, l’abri et la mendicité auprès des riverains.
Traiter l’effet et pas la cause
Tout le monde souffre de cet inconfort. Mais les sans abris sont les véritables victimes de cette politique absurde : pour eux, c’est la violence absolue, ajoutée à l’absence de sanitaires publics et aux difficultés d’accès aux foyers d’hébergement.
Et pourtant, ce design qui cherche à les exclure est en partie inefficace : les sans abris restent dans les espaces où les touristes circulent car l’argent circule aussi. Et ils dorment quand même dans le métro quand il fait froid, mais par terre.
Il faut remplacer ce design d’exclusion par un véritable travail social, une autre politique de logement des précaires, une autre conception de l’espace public.
Un urbanisme de situation
Loin du design des mobiliers urbains sur catalogues, une autre conception de l’aménagement existe : un urbanisme participatif, de situation, qui favorise le regroupement des citoyens, une conception transversale de la ville, élaborée directement avec les désirs et les savoirs faire des habitants, où l’architecture, le travail social, le paysagisme et l’art s’interpénètrent.
Gilles Paté, plasticien, novembre 2003