L’agence IM’média communique :
ON MARCHE ETC… – Le Vidéo-journal de la Marche des chômeurs et des précaires (printemps 1994)
un film coordonné par Mogniss H. Abdallah – production agence IM’média ( 50 mn – 1994 )
à voir sur : https://www.youtube.com/watch?v=4WlLBJK6ykI&list=PL1880A4E0CF491410
Du 6 avril au 28 mai 1994, une dizaine de colonnes sillonnent la France en direction de Paris pour dénoncer le chômage subi et la précarité. Parmi les Marcheurs et Marcheuses, il y a des chômeurs, des sans logis, des travailleurs, des syndicalistes, permanents ou non, français ou immigrés, avec ou sans papiers, jeunes ou vieux.
Cette convergence « improbable » entre des protagonistes sociaux très divers va provoquer des étincelles sur le parcours entre marcheurs eux-mêmes, entre marcheurs et la direction nationale du nouveau collectif Agir ensemble contre le chômage (AC!). Ainsi, la colonne du Sud-est partie de Toulon le 10 avril 1994 est le théâtre d’un énième clash suite à des rumeurs de dégradations qui auraient été commis par des Marcheurs dans un hôtel Formule 1. Il est alors question d’exclure les ZR (« Zonards rebelles » aux allures « clodos ») de la Marche. Mais les Marcheurs du Sud-est s’y opposent et s’en expliquent dans un texte-manifeste : « Ne laissons plus des images respectables parler et décider à la place de ceux que la société ne respecte plus ». Certes, les sans domicile se prêtent aux représentations misérabilistes lorsqu’ils se font materner malgré eux par les bonnes soeurs au couvent de Fain-les-Moutiers (Côte d’Or), mais ils surprennent aussi par leur capacité à transcender leur statut d’ivrognes « beaufs » et à prendre la parole en nom collectif, comme en témoignent les images tournées par des marcheurs eux-mêmes munis de caméscopes.
L’épisode de la tension avec les ZR va souder sans domicile français et immigrés qui, suite à de vives discussions internes, tenteront de dépasser les a priori racistes omniprésents du type « les immigrés prennent nos places dans les foyers » ou « 3 millions de chômeurs = 3 millions d’immigrés de trop ». Ce slogan est lui-même un détournement de la propagande nazie contre les juifs dans les années 1930, années qui avaient aussi vu en France de graves divisions entre chômeurs français et travailleurs immigrés licenciés – dont des mineurs polonais expulsés du territoire par dizaines de milliers. Le slogan avait aussi été affiché par le FN sur le parcours de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983. La Marche de 1994 se réfère constamment à cette dernière, et plusieurs villes-étapes sont les mêmes.
A Salon-de-Provence, Khelil Belheine de l’association Nedjma rappelle l’accueil improvisé par une seule personne onze ans plus tôt. Cette fois-ci il assure un accueil collectif, puis il rejoint la Marche des chômeurs, et ce pour tenter de mieux articuler les revendications des immigrés pour l’égalité des droits avec les autres mouvements sociaux, à l’instar de la « nouvelle citoyenneté » que prônait l’association Mémoire Fertile à la fin des années 80. Il brandit ainsi l’exigence d’égalité des droits entre chômeurs ou précaires de nationalité étrangère, tout comme le droit de vote pour les citoyens quelle que soit leur nationalité, mais il insiste aussi sur la nécessité de l’auto-organisation et de la démocratie directe au sein de la Marche.
Dans cet état d’esprit, le vidéo-journal donne à voir une séquence où Momo du Comité des sans-logis (CDSL) propose de participer à une action de réquisition-logements d’un immeuble de la Banque de France. Il « propose », l’AG des marcheurs dispose. D’autres actions vont se multiplier, par exemple pour la gratuité des transports en coordination avec Malika Zediri de l’APEIS. Par ailleurs, la Marche des chômeurs ralliera les défilés traditionnels du 1er mai et tiendra à souligner l’unité avec les travailleurs, notamment à l’occasion d’une étape le 26 mai à l’usine Rhône-Poulenc d’Ivry sur-Seine.
Cependant, unité ne signifie pas unanimisme. Saïd Bouamama, sociologue et militant lillois, constate qu’il y a tout comme en 1983 «deux marches dans la marche », ne portant pas les mêmes revendications, ni les mêmes perspectives. Dans le Nord, où la CGT déplore une « dérive réformiste » de certaines composantes d’AC!, il critique la « marche des enveloppes » – consistant avant tout à réclamer une reconnaissance d’associations et quelques subventions pour « gérer la misère », alors même que l’appel initial entendait « dénoncer la situation sociale actuelle et poser la question du modèle de société », donnant sens aux revendications sur le partage du temps de travail sans diminution de salaire. Khelil pousse dans le même sens lorsqu’il conteste le consensus autour du concept ambigu de « l’exclusion », une façon apolitique de « s’apitoyer sur les exclus sans combattre les inégalités quant au fond ».
Entre optimisme fanfaron (« On est 40 000 !» ) et pessimisme raisonné ( « Il n’y a que des militants chevronnés, ils sont où les chômeurs et les cousins? ») ce vidéo-journal pose inévitablement en pointillé la question : à quoi la Marche aura-t-elle servi, et à qui ? Quoi faire, après ?
Par la suite, des initiatives se sont multiplié : grève de la faim pour l’embauche de jeunes dans les Quartiers Nord Marseille en 1996, syndicalisation de 32 sans-papiers au comité de chômeurs CGT de Lille, participation de l’association La Chorba et du Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB) au mouvement d’occupation des assedics lors du grand mouvement de l’hiver 1997-1998, nouvelle marche des chômeurs et des précaires en lutte de Vaulx-en-Velin à Nanterre (23 février – 6 mars 1998) etc. Malheureusement, l’histoire de toutes ces convergences réelles est bien peu présente dans la mémoire collective des luttes. Une lacune due en partie aux difficultés d’un mouvement de précaires à s’inscrire dans la longue durée. Pourtant, un bilan critique et l’étude approfondie de ces expériences permettraient sans doute de surpasser nombre des cloisonnements actuels, source d’un sentiment d’émiettement sans fin.
ON MARCHE ETC… Vidéo-journal de la Marche des chômeurs et des précaires (printemps 1994)
un film coordonné par Mogniss H. Abdallah
production agence IM’média ( 50 mn – 1994 )
avec Reda Sadki, Maher Abi Samra (caméra), Belkacem Lahbaïri (son), Belade (commentaire), Noureddine Amir (photos), Kamel Salhi (montage), Amar Hammami (mixage)
et la participation ou les images de Pedro Lino (marcheur), Eric Lebreux (Marseille), AC! (Limoges), Patrice de Boosere (Vidéorême – Roubaix)
Contact :
agence.immedia@free.fr