C’est naturellement à la Maison des Métallos à Belleville, qui fut un haut-lieu de culture syndicale et ouvrière et reste ancrée dans un quartier multiculturel, que se déploie l’exposition-installation de Canal Marches : la richesse et la diversité humaine des quartiers populaires s’y donne à entendre et à voir en elle-même et par elle-même. Une mosaïque d’écrans de toutes tailles invite à un cheminer parmi une myriade de visages et de témoignages; le dispositif éclaire d’une subtile palette les expressions aux accents singuliers où s’articulent joies, colères, doléances, interrogations…
Autant de messages qui nous sont adressés pour exprimer les préoccupations quotidiennes, intimes ou publiques, qui traversent ces vies ; une invitation à reconsidérer une frange de la population occultée par le spectacle de la « télé-réalité ». Quel meilleur regard que celui des habitants eux-mêmes pour en révéler la diversité et les nuances?
Le dispositif sous forme de tableau vivant compose la toile de fond des rencontres et ateliers proposés pendant presque une semaine par l’équipe de Canal Marches. L’exposition se conçoit comme un prolongement des activités que mène l’association tout au long de l’année, où sont débattus et mis en pratique les enjeux et méthodes de réalisation collectives.
Après l’ouverture sous l’égide d’Annick Coupé (Sud-solidaires) et Annie Pourre (No-vox), la transmission sera aussi à l’œuvre lors de moments de projection communes : Jean-Pierre Thorn, pionnier du cinéma militant, ayant accepté de venir présenter son dernier film « 93, la belle rebelle » en compagnie de slammeurs. L’éveil au regard critique enfin, est aussi en cause, qui sera mis question lors d’une discussion animée par Eugénie Barbezat, journaliste à Radio Aligre, avec Richard Sovied (Télé Bocal), Audrey Lehout (Marianne Films), et Anne Toussaint (Les Yeux de l’ouïe).
Depuis trois ans que fonctionne l’Université populaire la dynamique de pédagogie par l’action qu’elle revendique associe directement les habitants et les responsables des associations des quartiers concernés dans le choix des sujets et la fabrication des images. Il s’agit d’initier un mouvement qui vise à l’appropriation du langage audiovisuel et à l’autonomisation des pratiques de production. La détermination et la patience nécessaires pour engendrer ces expressions « à contre-pied » relèvent de choix mûris par l’expérience de la pratique : autour de Patrice Spadoni, initiateur de l’aventure, une poignée de jeunes professionnels de l’image, à l’écoute et au service de chacun, porte toute son attention à valoriser la dimension humaine et la relation dans ces espaces sensibles.
Les questions se posent tout au long du processus, par exemple pour les choix éthiques de montage, dans le respect de la parole donnée, et revêtent aussi parfois des aspects très pragmatiques : en amont, dans l’accompagnement pour l’acquisition d’équipements adaptés (la plus grosse caméra, en haute définition, n’a d’intérêt que si, à l’autre bout de la chaîne, l’ordinateur de montage a la puissance nécessaire pour traiter de lourds fichiers…) ; ou en aval, par des choix favorisant la circulation des œuvres dans un souci qualitatif : diffusion sous licence libre, hébergement sur serveur propre pour éviter le nivellement par le flux des plateformes à grande échelle…
Partis de Belleville ces ateliers tout-terrain innervent désormais toute l’Île-de-France, et le rhizome commence même à éclore au-delà, en province ou encore au Maroc. Les « paroles et mémoires » recueillies ont valeur d’archive contemporaine, dont un site dédié recense la collection. A terme, les habitants et les associations eux-mêmes doivent devenir les passeurs de ces expériences : sauront-ils transformer cet outil de construction de soi en une arme au service de l’expression venue « d’en bas » ?
A l’heure où les éditorialistes parisiens s’interrogent encore sur le sens que l’on doit conférer à l’expression citoyenne sortie des urnes, et où le dialogue entre les pouvoirs publics et les revendications de la société civile semble permettre un nouveau souffle (comme à Notre-Dame-des-Landes par exemple), l’exergue de Michel Butel, en couverture du 2e numéro de son journal l’Impossible, résonne d’un écho particulier : « Il y a les experts, il y a les penseurs, et puis il y a le peuple. Le peuple inattendu. C’est-à-dire des voix et des pensées que personne, ou rien, ne laissait présager. »
UPOPA – UNIVERSITÉ POPULAIRE AUDIOVISUELLE
Du 9 au 13 mai à la Maison des métallos – 94 rue Jean-Pierre-Timbaud 75011 Paris
Programme, infos : www.upopa.org
Le site de l’association Canal Marches : www.canalmarches.org
Paroles et mémoires des quartiers populaires : www.paroles-et-memoires.org
HorschampTV s’associe à cette manifestation : retrouvez en avant-première sur le site http://tele.horschamp.org, un extrait du magazine vidéo de Canal Marches.