pour retourner vers la une (accueil)
Pour une expression artistique des sans-voix
Accueil > Activités > On vous conseille > "Les LIP, l’imagination au pouvoir" en présence de Charles (...)
"Les LIP, l’imagination au pouvoir" en présence de Charles Piaget
mardi 23 septembre 2008, à la Maison des Métallos, 94, rue Jean-Pierre Timbaud, Paris 11e, mardi 23 septembre à 19h30.

Projection proposée par ATTAC Paris 11, à son prochain ciné-croque.

"Les LIP, l’imagination au pouvoir",
un film de Christian Rouaud, 2007

Comme d’habitude, la projection sera suivie d’un débat et d’un buffet
participatif, avec la présence exceptionnelle de Charles Piaget,
syndicaliste et acteur emblématique de cette lutte.



Le point de vue de Serge Halimi pour le Monde Diplomatique :

http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2007-03-20-LIP

Au départ, en avril 1973, quand Lip annonce aux quelque 1 300 salariés
que
des licenciements vont intervenir dans l’entreprise d’horlogerie, le
syndicaliste ouvrier Charles Piaget se montre hostile à la grève. Il
préfère que ses camarades freinent le rythme des machines et celui des
mains ; mais « ils avaient tellement les cadences dans la peau que
c’était
pas possible de ralentir ». Ils arrêtèrent de travailler dix minutes par
heure. Ainsi commença la longue aventure des « Lip » qui, comme souvent
dans l’histoire des mouvements ouvriers, partit de revendications très « 
raisonnables » (ne pas perdre son travail à une époque où le chômage
reste
modeste) et, chemin faisant, découvre que (presque) tout est possible.
En
mai 68, les étudiants des Beaux-Arts n’ont-ils pas imprimé des affiches

on lit : « Ton patron a besoin de toi, tu n’as pas besoin de lui » ?
Justement, mai 1968, c’est hier en avril 1973. Lip, ce sera un peu cette
histoire qui recommence, mais sur son versant ouvrier et
autogestionnaire.

« 480 à larguer : la phrase a choqué. On n’était pas encore à une
période
où on larguait les hommes comme des bêtes. » Les administrateurs de
l’entreprise sont séquestrés : on entend « les monnayer pour des
renseignements plus précis » sur le sort de l’entreprise en difficulté.
Dans le quartier de Palente, à Besançon, les cars de CRS encerclent
l’usine. Puis c’est l’assaut, les portes défoncées : « Ça nous a
choqués,
nous qui avions été si attentifs au cours des grèves précédentes à ne
pas
rayer un mur. » Les administrateurs sont libérés. Alors, parmi les
ouvriers, « il y en a un qui a dit : et si on prenait les montres ? »
Soit, mais qu’en faire. Et est-ce un vol ? un péché ? (la tradition
chrétienne imprègne la région). Plutôt maoïste, un ouvrier dominicain
absout d’avance les « paroissiens de Palente ». Des voitures sont
chargées
de montres et partent « les planquer ». Mais les ouvriers ont garde
d’oublier de s’emparer des fichiers et des plans, car ceux-ci ne doivent
pas tomber entre les mains des concurrents de la marque horlogère. Ces
syndicalistes d’un genre nouveau ont beau avoir les cheveux très longs
et
ne pas manquer d’audace, ils tiennent au soutien de l’évêque et ont
l’esprit d’entreprise...

Que faire de toutes ces montres ? On décide de les vendre et de remettre
en route l’usine pour en produire de nouvelles, cette fois sans patron
(« 
tu n’as pas besoin de lui »). La vente est un énorme succès, y compris
sur
les plages. En six semaines, le chiffre d’affaires ainsi réalisé
correspond à 50 % du total d’une année ordinaire. Il y avait des caches
pour les montres, il y en aura d’autres pour l’argent. Chargements
clandestins sur les routes, déguisements, perruques : la folie des
jeunes
ouvriers rencontre la sagesse des anciens. « Plus le vent soufflera
fort,
mieux ça vaudra », estime M. Piaget, délégué exemplaire d’une CFDT alors
très militante et pleine d’imagination. « Le plus grand moment
d’exaltation, se rappelle une ouvrière, ça a été notre paie sauvage. On
a
touché du doigt le fait que c’était possible. »

Puis les ouvriers ouvrent les portes de l’usine à tous, y compris aux
journalistes. A l’époque, on calcule que les concours l’emporteront sur
les nuisances. Certains des visiteurs participent aux assemblées
générales, restent une ou plusieurs semaines ; des étudiants arrivent
avec
leurs instruments de musique.
« La question des femmes a été la révolution dans la révolution. » Pour
être un militant exemplaire, Piaget lui-même n’en abandonne pas moins la
charge de ses six enfants à son épouse. Il admet volontiers : « C’est
vrai
que je n’ai pas été très bien. » Quant aux enfants, cette variable qui
pèse sur le temps des militants va quitter à son tour le domaine privé
pour être posée collectivement. « A travail égal, salaire égal ? » Ce
n’est pas si facile : faut-il payer autant les couples, ceux qui ont des
charges de famille ? Le dominicain est favorable à l’égalité des
salaires.
Mais il n’a pas d’enfant... « Remballe tes billes, lui oppose-t-on, ce
sera bon pour la prochaine fois, mais pour l’instant c’est pas mûr. »

« La réussite, résume M. Piaget, qui jamais ne succomba aux sirènes du
pouvoir, c’est de ne plus avoir besoin des leaders. Leurs voix ne compte
que pour un. » Un militant admet : « Je rêvais libération des peuples.
Et
je pensais qu’on pouvait libérer une usine comme on libère un peuple. »

Pourtant, Besançon, ce n’est pas toute la France. Le pouvoir fait
évacuer
l’usine, propose un nouveau plan, avec à la clé 159 licenciements. La
majorité des ouvriers le refuse. Le premier ministre Pierre Messmer
conclut, furieux : « Lip c’est fini. » Il se trompe. L’entreprise est
reprise par un « patron de gauche », M. Claude Neuschwander. Un peu plus
d’un an après, en décembre 1974, le conflit semble terminé : d’un côté,
l’autogestion a vécu ; de l’autre, tous les ouvriers ont été
réembauchés.

Mais en mai 1974, M. Giscard d’Estaing a été élu à l’Elysée. Pour lui et
pour son premier ministre Jacques Chirac, c’est surtout le second point
qui pose problème, ce bras de fer remporté par les syndicats contre le
chômage alors que les plans de licenciement essaiment un peu partout en
France. Ministre de l’industrie en 1973, M. Jean Charbonnel confie que
M.
Giscard d’Estaing estimait, en substance : « Il faut les punir [les
Lip].
Qu’ils soient chômeurs et qu’ils le restent. Ils vont véroler tout le
corps social. » Selon M. Charbonnel, le patronat et le gouvernement
Chirac
auraient, délibérément, « assassiné Lip ».

Comment ? Renault, alors nationalisé, annule du jour au lendemain ses
commandes de montres ; le ministère de l’industrie supprime un versement
promis ; le robinet à capitaux se tarit d’un coup. Révoqué par
l’actionnaire, M. Neuschwander en tirera plus tard la leçon que jusqu’à
Lip, le capitalisme était dominé par l’entreprise. Après cela, la
finance
l’emporta. Aujourd’hui encore, les ouvriers de Lip conservent secret le
lieu où ils dissimulèrent leur trésor de guerre, car, expliquent-ils, « 
ça
peut resservir ».



Site réalisé avec SPIP - 3.0.17 [21515] LA UNE| | PLAN DU SITE | QUI SOMMES-NOUS | CONTACT | WebMaster |